La dépendance en accueil familial thérapeutique

Démarré par Erika, 05 Mai 2004, 09h27mn

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Erika

Bonjour, je suis à la recherche d'idées pour éviter les situations de dépendance entre la famille d'accueil et le patient en accueil familial thérapeutique pour des personnes souffrant de troubles mentaux.
Par exemple, organiser des jours de prise en charge au CATTp 1 ou 2 fois par semaine pour faire un break....
Je vous remercie d'avance. A très bientôt Erika

Etienne

Bonjour Erika,
C'est pas l'idée du siècle, vu que ces journées de prise en charge hors de la famille d'accueil se pratiquent déjà ici où là, mais c'est une bonne idée quand même.
Ici, en Ardèche, les CMP organisent plusieurs types d'activités de jour, ouvertes à des malades mentaux, qu'ils soient à la charge par leur famille naturelle ou pris en charge par une famille d'accueil (thérapeutique ou sociale).
Au choix, en fonction des capacités des malades, une fois par semaine ou une fois par mois :
- jeux de société
- cuisine
- ballades...
C'est très sympa, ça fait du bien à tout le monde et c'est pris en charge par la Sécu, sur prescription du psychiatre. Une participation aux frais minime (+- 3 euros) est demandée pour l'activité cuisine. Sinon, chacun emmène son petit casse-croûte.
Famidaquement, Etienne

Henri

Bonjour,

En Haute-Loire, un foyer de vie (équivalent de "foyer occupationnel") propose de l'accueil temporaire à la journée ou plusieurs jours et nuits de suite. Un des objectifs de ce projet est, justement, de permettre aux accueillants de souffler un peu...

Henri

Joëlle

Bonjour Erika,

Je pratique l'accueil familial thérapeutique avec deux personnes qui me sont confiées par un Centre Hospitalier Spécialisé. L'une d'entre elles, accueillie à temps complet, fréquente l'hôpital de jour deux demi-journées par semaine où elle participe à un atelier pâtisserie et un atelier expression écrite. La deuxième accueillie à temps partiel, fréquente lorsqu'elle est chez sa mère, le CATTP de son secteur (atelier dessin/peinture, et groupe de parole)
Meilleurs sentiments.
Joëlle

Erika

La question que je me pose maintenant est de savoir si vous, en tant qu'accueillant, avez conscience que le patient ne sera là que pour un temps déterminé ?
Quels sont les liens que vous entretenez, y'a t'il un attachement affectif profond, le patient comprend t'il qu'il devra quitter les lieux. Comment envisagez vous la séparation et comment la vivez vous. Et donc comment éviter cette situation de dépendance affective ?

Erika

Bonjour,
Ce message s'adresse particulièrement aux accueillant (es) , pouvez me dire si lorqu'un accueilli arrive chez vous, vous avez dans l'idée qu'il repartira et que ce n'est qu'une transition.
Comment vivez vous l'attachement et la séparation.
Y'a t'il des éléments dans votre vie qui peut renforcer cet attachement (ex membre de votre famlle atteint d'une mladie).
Avez vous l'impression que les patients accueillis ont de réelles possiblités pour vivre de manière plus autonome?
Avez vous des exemples de patients partis pour d'autres projets.
Pour quelles raisons viendriez vous à une séparation avec le patient.
Merci d'avance et à bientôt.

Etienne

Bonjour Erika,
Tous les accueils sont forcément provisoires...
J'accueille des adultes handicapés avec pour projet de les aider à acquérir plus d'autonomie ou, en tout cas, à "aller mieux". Comme de grands enfants, qu'on n'élève pas pour les "garder sous son aile" mais pour leur apprendre à s'envoler !
Du coup, lorsqu'un d'entre eux s'en va pour quelque chose de "mieux", c'est un bonheur pour tous, malgré la séparation.
Mais ça ne marche pas toujours. C'est ainsi que nous avons récemment organisé le départ d'un de nos accueillis pour un "autrement", ailleurs, du fait de notre impuissance à le re-stimuler au bout de 8 années d'accueil. La routine s'étant installée, le changement lui fait du bien !
Bien sûr, avec des personnes âgées ou gravement malades, la séparation devient hôpital ou cimetière. C'est pas évident de s'y faire...
Dans tous les cas, le plus dur est le sentiment d'impuissance, d'échec. Nous l'avons rarement ressenti dans la durée, plus que quelques jours.
Nous essayons simplement de vivre le mieux possible, tous ensemble, en partageant chaque jour, avec nos accueillis, les petits et grands bonheurs de la vie. Lorsque ça finit par "coincer", tant pis, il vaut mieux chercher une solution et mettre fin à l'accueil, pour le bien-être de tous.
Cordialement, Étienne

Joëlle

Bonjour Erika,

En réponse à vos questions, voici ce que je peux vous dire par rapport à mon vécu d'accueil thérapeutique depuis 10 ans :

1°) Nous savons qu'il s'agit toujours d'un accueil provisoire, d'un "passage". L'idée de transition est tout à fait nette dans notre esprit. C'est le principe même de l'accueil familial thérapeutique, je dirais même la base fondamentale. Le patient lui-même est informé qu'il s'agit de quelque chose de provisoire sans qu'il soit possible de quantifier cette durée en mois ou années. Et si parfois dans ses propos, nous avons le sentiment qu'il tend à l'oublier, nous le lui rappelons tout en essayant de le rassurer sur son avenir afin qu'il ne reste pas dans l'illusion du "pour toujours". L'accueilli et les accueillants (car tous les membres de la famille sont concernés) sont tous lancés dans une "aventure" dont ils ignorent le terme : 3 mois, 6 mois, 1 an, 6 ans ? Tout va dépendre de la capacité d'adaptation des différents protagonistes, de l'alchimie qui va se jouer entre eux et de l'évolution qui va en découler. Car dans l'accueil familial thérapeutique, il y a toujours un projet qui est le plus souvent une tentative d'autonomisation et de socialisation.

2°) La question de l'attachement est très subjective. Les sentiments que l'on peut éprouver pour un accueilli sont fonction de la personnalité de celui-ci, s'il est facile à vivre ou non, agréable dans son comportement ou pas. On ne demande pas à une famille d'accueil "d'aimer"  son accueilli mais de lui apporter du respect, de l'attention, de l'écoute, de la compassion, de la motivation, des encouragements. Bref, de se comporter plutôt en professionnelle, un peu comme une infirmière dans un hôpital. Assez rapidement, on peut éprouver de la sympathie voire de la tendresse, un peu comme pour un voisin, son sort ne nous est plus indifférent.
Pour ma part, lorsqu'un accueilli quitte la maison, je me
réjouis s'il part pour davantage d'autonomie, je considère que j'ai bien
fait mon boulot et que le contrat est rempli. Je n'éprouve aucune tristesse au contraire, je suis contente pour lui et je sais que j'aurais de ses nouvelles.
La séparation se fait tout naturellement puisqu'il s'agit d'un projet qui
est planifié en cours de route. Le projet est mûri doucement par
l'équipe en fonction de l'évolution de l'accueilli. Dans le meilleur des cas, l'accueilli adhère et s'approprie petit à petit ce projet. La famille d'accueil encourage, aplanie les craintes en lui redonnant confiance. Le départ est fêté : pot de départ, cadeau, album photos des moments forts. Souvent un contact téléphonique est conservé et on se rend visite plus ou moins fréquemment.

3°) Je suis très méfiante par rapport à l'idée qu'un attachement serait plus ou moins grand selon qu'un évènement de notre vie ou un membre de notre famille serait atteint d'une maladie similaire. C'est dangereux car cela pourrait s'assimiler à un transfert. Votre question me rappelle une jeune femme, famille d'accueil, dont le frère était malade mental placé en institution. Elle s'est lancée dans cette activité vraisemblablement pour combler un vide affectif et soulager son propre sentiment de culpabilité vis à vis de ce frère dont elle ne pouvait pas s'occuper car trop malade. Résultat : elle a tenu plusieurs mois puis a craqué. Lorsqu'elle a pris conscience qu'elle avait choisi cette voie pour de mauvaises raisons, elle a changé complètement de cap. L'équipe de recrutement a, elle aussi, pris conscience de son erreur, et s'attache dorénavant à ne pas accepter de famille qui se tournerait vers l'accueil familial pour se réparer elle-même ...

Ce que je constate par contre, c'est qu'en prenant bien conscience de mes propres ressentis, en les analysant avec l'aide du psychologue de l'équipe, cela m'aide à être plus compréhensive, plus tolérante vis à vis de l'accueilli, de son comportement et de ses émotions.

4°) Les possibilités de vie plus autonome des patients se révèlent avec le temps. C'est dans les agissements de la personne, ses initiatives, que l'on décèle (avec l'équipe) un potentiel d'autonomie. On constate que la personne sait "se débrouiller" pour faire telle ou telle chose. Cela permet de l'imaginer dans un appartement, avec ou sans aide, ou au contraire d'éliminer totalement cette éventualité.

5°) Des exemples concrets :
Premier placement : homme 50 ans, déficient mental, est resté 5 ans chez nous. Après 20 ans d'hôpital psychiatrique (sa famille ne voulait pas de lui), il avait tendance à fuguer et à se réfugier dans les bois, un peu comme un sauvage. Chez nous, des bois, il n'y a que ça. Il a pu tout à loisirs faire des cabanes, se construire des arcs, des sifflets, etc ... Un jour, sans prévenir, il est parti avec l'argent de son vestiaire, a passé la journée à Bordeaux, la nuit à l'hôtel et est rentré tranquillement à la maison le lendemain !... C'est comme ça, en partie, qu'il a révélé son "potentiel". Il est maintenant en appartement individuel, à 6 kms de chez nous, toujours sous curatelle. Une femme de ménage l'aide chaque semaine. Cela fait 5 ans qu'il tient le coup sans réhospitalisation. Sa famille ne veut toujours pas de lui mais il a fini par l'accepter. Nous avons de ses nouvelles régulièrement. Il fait du stop pour venir nous rendre visite, nous lui apportons des oeufs, etc ...

Deuxième placement, une jeune femme psychotique maniaco-dépressive, 33 ans à son arrivée, est resté chez nous 7 ans. Depuis 2 mois, elle est en appartement individuel dans un foyer double tarification. Elle fait ses repas ou les prend en collectivité selon ses désirs. Elle participe à toutes les activités et sorties organisées par le foyer. Jusqu'à ce jour, cela se passe bien et nous espérons que cela va durer.

6°) Troisième placement : femme de 44 ans caractérielle. Est restée 3 ans chez nous. Avec le recul, nous nous demandons comment nous avons tenus autant de temps. Elle s'est énormément investie affectivement et n'a pas cessé de rejouer les mêmes scènes de violence (à son égard) ne pouvant faire face à un fort sentiment de jalousie par rapport à ma fille. Nous n'avons pas réussi en 3 ans à provoquer chez elle un décalage de ses émotions. Nous étions très touchés par sa souffrance mais nous avons dû interrompre le placement afin de ne pas mettre notre propre équilibre et celui de nos enfants en péril. Pour l'instant, elle est retournée à l'hôpital, un projet de foyer est à l'étude pour elle. Je lui rends visite environ 1 fois par mois car je sais qu'elle y tient et que cela lui fait plaisir. Je la vois pendant environ un quart d'heure au cours duquel elle reste calme et où elle arrive à donner le meilleur d'elle-même.

A votre disposition.
Joëlle

Arthur

Bonjour Erika,

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas accueillants familiaux thérapeutiques, mais çà y ressemble beaucoup.
Nos 3 personnes, accueillies depuis une dizaine d'année, sortent de CHS. Visite du psychiâtre tous les deux mois et suivi infirmier tous les 15 jours. Il n'y a pas de projet thérapeutique ou de réinsertion. Certainement parce qu'en ce qui les concerne il ne saurait en être question. C'eût peut-être été possible pour l'un d'entre eux, mais il eût fallu s'y prendre il y a 30 ans.
De l'attachement à leur égard, nous ne sommes pas censés en avoir.
Mais on ne vit pas 10 ans avec quelqu'un sans que ne se créent des liens.
Qu'on ignore parfois. Et qu'on peut être surpris de découvrir tout à coup.
Par exemple, quand "Joe", l'un de nos accueillis, en octobre dernier, a pété les plombs, comme çà, tout à coup, sans prévenir.
Nous nous sommes beaucoup intéressés à ce qui avait bien pu se passer. Nous nous sommes découvert une affection à son égard. Nous nous sommes beaucoup occupés de lui et lui, qui s'en est rendu compte, nous le rend bien maintenant.
La séparation, nous y pensons depuis longtemps, parce que dans quelques années viendra le moment de la retraite.
Et c'est un point qui nous préoccupe.
Qu'adviendra-t-il d'eux ?
Pour le premier, la question ne se pose pas trop. Encore que. Parce qu'il est dépendant sur beaucoup de points. Limite incontinent parfois. Ne sais plus faire sa toilette. Ne sais plus beaucoup de choses.
Mais sa mère de 90 ans vit toujours et souhaiterait qu'il reste chez nous.
C'est le deuxième, "Joe" dont il est question plus haut, qui nous pose véritablement un problème.
Nous savons maintenant qu'il s'est attaché à nous. Il a déjà pété les plombs il y a 12 ans environ après le décès de son père biologique et un drame familial qui s'en est suivi.
Comment vivra-t-il une nouvelle séparation quand on sait sa fragilité ?
Il faudrait le préparer bien à l'avance, lui trouver une autre famille d'accueil chez qui il irait faire des séjours préalables d'adaptation progressive. Nous en avons déjà parlé avec les services. Mais que feront-ils ?
Quant au troisième, lui aussi malgré tout, c'est un problème.
Parce qu'il était "limite". En ce sens qu'il nous a été dit bien après que sa seule chance de sortir du CHS était de venir chez nous.
(On s'en était déjà rendu compte !)
Bavard, perturbateur, agressif (voire très) quand il pète un cable (et nous savons maintenant qu'il lui faut soulever la soupape de la cocotte assez régulièrement, tout autant qu'il peut être gentil et poli (mais là nous savons aussi maintenant que ce n'est pas totalement désintéressé).
Lui est le cas typique de l'accueilli dont nous aurions pu nous séparer.
Mais, bon an mal an, il a fini par s'adapter, et nous aussi avons fini par l'intégrer.
Et pour lui aussi se pose la question. Qu'adviendra-t-il de lui ?

Cordialement,
Arthur

Erika