Les risques du métier d'accueillant pour adultes handicapés mentaux

Démarré par karole, 04 Février 2016, 12h10mn

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karole

Bonjour,
Je ne viens pas pleurer sur le forum, mais juste partager mon expérience, qu'à mon avis, je ne suis pas la seule à vivre et que malheureusement, d'autres vivrons aussi.
Je vous préviens, roman assuré !

Nous avons reçu il y a un an maintenant, un jeune issu d'un foyer de notre région. Bien évidemment, la description faite par l'équipe du foyer était comme (toujours ?) idyllique... Ce jeune voulait intégrer un ESAT, et nous en avions un près de chez nous. L'intégration au sein de notre famille c'est bien passée, il a été embauché à l'ESAT et tout allait bien dans le meilleur des mondes.... C'était un jeune qui avait beaucoup d'humour, avec qui nous plaisantions facilement sur tout et rien.

Il y a maintenant 3 mois, un jour pas comme les autres apparemment.... Mon mari lui propose de finir d'aller peindre sa mangeoire à oiseaux qu'il voulait offrir pour Noël et qu'il avait fabriqué avec l'aide d'Olivier (mon mari, mais ça fait répétition :) ). Moi, sachant qu'il aime la plaisanterie, je lui dis "attention hein, c'est la mangeoire qu'il faut peindre, c'est pas toi ! " et là, sans que rien ne puisse nous alerter, il a repoussé la table en hurlant "fais gaffe" et ma donner un méchant coup de pied entre les jambes ainsi qu'un coup de baguette sur la tête...
Olivier l'a tout de suite maîtrisé (c'est ce qu'il fallait faire en bon professionnel, mais moi tétanisée, je me suis effondrée, en voulant à Olivier de s'occuper de lui plutôt que de moi sa femme ! Maintenant, rassurez-vous, avec le recul, je sais que c'est ce qu'il devait faire, le maîtriser et on verra après pour moi, mais sur le coup, je me suis sentie abandonnée... Bref, j'ai vécu un véritable traumatisme : depuis 3 mois, je vis enfermée dans ma chambre, je n'ose plus sortir, je suis devenue, une petite souris grise s'enfonçant dans la dépression.
Bien évidemment le jeune a été transféré en CHS. Quelques jours après mon agression, j'ai pris rendez-vous chez mon médecin traitant, qui voyant mon état me prescrit des anti-dépresseurs, avec un arrêt de travail d'un mois, qui s'est prolongé jusqu'à maintenant. Alors, vous allez vous demander, mais pourquoi j'écris ça, et bien en fait, c'est que bien que le Conseil Départemental a été bien évidemment informé de la situation, silence total de leur part...
Il a fallut que ce soit mon médecin traitant, (connaissant ce que je vivais à la maison, terreur nocturne, impossibilité de sortir de ma chambre où je restais enfermée à clé avec mon chien (boxer), mon corps qui a réagit à la situation s'est rappelé à moi, j'ai des sciatiques coup sur coup, du coup, j'avais une fragilité au pied gauche, celui-ci fait des siennes aussi, il n'arrêtait pas de lâcher à sa guise, donc, comme j'en avais assez de me retrouver par terre, je marche avec une cane... donc, c'est mon médecin traitant qui m'a proposé d'être suivie au CMP de ma région par une psychologue et un psychiatre.
Je trouve lamentable que cette proposition m'ait été faite par mon médecin et pas par les services de suivi des accueillants... Mieux encore, comme si je n'avais pas assez pris de coups sur la patate, la personne qui nous suit pour l'accueil, lors de sa visite où nous lui avons expliqué la situation, n'a pas trouvé mieux de me dire qu'en gros, c'était de ma faute, car avec ma plaisanterie, j'avais atteint à l'intégrité physique du jeune homme.... Le monde à l'envers...
Heureusement, la curatrice, elle a été super, elle nous a avouée avoir fait des recherches et il s'avère que ce jeune avait déjà agressé des femmes dans le foyer où il vivait avant de venir chez nous et pire encore, qu'il avait agressé une femme enceinte dans la rue... Elle ne comprenait pas ce que m'avait dit la personne du suivi et m'a proposée de porter plainte contre le jeune homme. A ce jour, je ne l'ai pas encore fait, ma psychologue me dit que ça pourrait m'aider, je me tâte encore...
Aujourd'hui, je suis les conseils de ma psychologue, qui avant-hier m'a dit qu'il fallait que je sorte de ma chambre, donc, depuis deux jours, je descends dans la salle commune, c'est pas facile... De plus, elle m'a obligée à retourner chanter dans ma chorale, je dois donc ce soir y aller, je tremble comme une feuille... C'est Olivier qui va m'y conduire (je ne peux plus conduire) ce sera plus facile pour moi de franchir le pas de la maison, ensuite, une choriste me ramènera chez moi.
Tout ce roman pour témoigner des risques de notre métier, pourtant je vous assure que je suis une "guerrière" ceux qui me connaissent savent que j'ai du punch et bien malgré tout, me voilà en miette, fragile (je déteste ça) j'ai perdu mes repères, je suis devenue peureuse.... Je pense qu'un post de ce genre peut-être utile à d'autres, ça m'a fait un bien fou de vous écrire...
Cet après-midi, interdiction d'aller dans ma chambre, je vais essayer de chanter un peu, pas facile, moi qui travaillais ma voix 3 heures par jours, je n'ai pas sortit un son depuis 3 mois...
Bonne journée à tous,
Karole

sema

Bonjour Karole,

Très touchée de votre situation, je vous adresse un petit message d'encouragement.
Ayant travaillé dans différentes structures, j'ai connu des actes plus ou moins violents, ainsi que certaines de mes collègues, ma fille aînée. Et puis, malheureusement, chacun tire sa couverture sur soi, à établir la "vraie responsable " !!!

Je vous conseille quand même, de porter plainte à l'encontre de ce jeune homme. D'une part, il est important qu'il comprenne le fonctionnement de la société avec ses règles, ses lois. Qu'il peut être "puni" par les conséquences de ses actes inexcusables. C'est aussi lui rendre service pour la suite, c'est-à-dire, qu'il n'est pas autorisé à violenter autrui, parce qu'il n'est pas d'accord, ou bien énervé!!! en raison de son handicap ? La loi du 11 février 2005, la loi 2-2002 existent.  Et c'est aussi le travail du suivi du Conseil Départemental à prendre les mesures nécessaires !
Je suis assez choquée de leur réaction, quel professionnalisme !!!. Vous avez tout intérêt et je vous l'encourage, à écrire sur ce qui a été dit à l'oral avec eux!
Reprendre tout et exprimer vos ressentis!  Car là, je trouve que c'est grave de répondre avec autant de légèreté. J'aimerais savoir où ces personnes ont été formées !! Elles se réfèrent à quoi ?  à un manque d'humour momentané de ce jeune homme, et elle parle d'intégrité ??? Quelle confusion !!! Où est la cohérence du travail médico-social, de l'accompagnement adapté ?
Je pense que le Président de votre CD serait assez étonné !  Munissez-vous de toutes les preuves que vous avez, y compris, la tutrice, la structure, etc...
Cette démarche vous permettra aussi de vous sortir de votre état dépressif. Et j'en suis convaincue Karole ! Je sais que cela vous demandera beaucoup mais franchement cela vaut le coup. C'est vous la victime ! OK ?

Voilà je voulais juste dire qu'il faut continuer à vous battre ! et redevenir ce que vous êtes!
Alors COURAGE Karole

karole

Merci Sema pour ce gentil message d'encouragement. Je vais porter plainte, mon médecin m'a fait un document que la gendarmerie demandais : un ITT. Je progresse tout de même, car je suis allée chanter jeudi, j'ai mis 5 mn à sortir de la voiture et c'est mon mari qui m'a accompagner à la porte où j'ai encore mis 5 mn à la passer, les premiers instants étaient très difficiles, mais ça m'a fait beaucoup de bien. J'ai pas mal de pièces à travailler car en 3 mois, il s'en ai passé des choses à la chorale lol
Merci encore pour le soutien, et j'encourage les accueillants d'utiliser ce post pour partager leurs expériences, il faut que "ça sorte"
Bonne journée
Karole

Claribel

Bonjour Karole,

Répondre à ta détresse est tout simplement difficile.
Que dire qui pourrait te consoler, t'aider à reprendre le dessus après un tel traumatisme ?

La situation que tu as vécu est très certainement liée au fait que les établissements poussent dehors les cas les plus compliqués à gérer et que ce sont les accueillants familiaux qui se retrouvent au front... C'est le monde à l'envers ! Aujourd'hui on met des familles en danger parce que la société est incapable de trouver des solutions acceptables pour ceux qui sont, bien malgré eux, dans des pathologies complexes et ingérables en famille !!!  
Il y a également une deuxième raison, c'est aussi parce qu'on ne nous traite pas comme des travailleurs sociaux et on nous confie des personnes dont on ne sait rien ou presque. Parfois même on nous dépeint des accueillis presque idylliques... Et comment savoir tirer le vrai et le faux dans tout ça ???

Il nous faut un VRAI statut de travailleurs sociaux pour qu'enfin on commence à nous parler d'égal à égal. Il nous faut aussi des formations sur toutes ces pathologies existantes et dont on ne connait qu'une petite partie. Bref, il nous faut nous battre pour exercer notre métier dans de bonnes conditions... ce qui n'est pas normal !

Chère Karole, je te souhaite de reprendre le chemin de ta vie, d'arriver doucement à redevenir celle que tu étais avant cette agression, plus forte même. Mais je sais combien ce peut être difficile...! Laisses le temps au temps, les choses se remettront en place petit à petit.

Bon courage et n'hésites pas à m'appeler si tu le souhaites !
Claribel

karole

Merci Claribel pour ton message de soutien. J'avance doucement vers la guérison, grâce au suivi du CMP. Tu as tout a fait raison de dire que nous devrions être formés, c'est certain !
Quant à la description qu'on nous fait de la personne que l'on va accueillir, comme tu dis, c'est toujours idyllique, c'est après qu'on se rend compte qu'on a été roulé dans la farine !
En plus, comme dans la plupart des CHS, il y a de moins en moins d'accueillants thérapeutiques, ces personnes qui relèvent de l'accueil thérapeutique ce retrouve en famille d'accueil social et c'est là aussi où ça ne va pas !
Merci encore pour ton gentil message,
Je t'embrasse
Karole

duport

Bonjour Karole,

Vous avez raison, notre métier n'est pas sans risque, souvent nous prenons en charge des personnes "instables",  souvent nous ne sommes pas informé de leurs santés mentales... et de leurs antécédents.... souvent nous sommes sollicités comme "accueil par défaut" et dans l'urgence... souvent la période d'essai n'est pas suffisante pour déceler les instabilités mentales... souvent les personnes refusent les soins psychologique et les traitements....

L'agression physique et l'agression morale (accusée de maltraitance), j'y ai été confronté également, comme beaucoup d'autres collègues accueillants, vous n'êtes pas la seule !

Je n'ai pas vécu de traumatisme, sans doute que ma formation et expérience en tant que travailleur social (conseillère en économie sociale et familiale) m'ont permis d'aller de l'avant;
Bien sûr, je me suis remise en question, j'ai pris des temps du recul, je me suis repositionnée, est-ce que mon travail était pertinent ? est-ce qu'il est possible de réduire ses risques ? comment fonctionner pour continuer à prendre en charge ses personnes présentant des troubles du comportement ? Cette réflexion je l'ai menée avec mon mari, mais aussi les enfants ; Ensemble, nous avons décidé de continuer car nous sommes convaincu que nous avons beaucoup à apporter et que c'est un beau métier !

Voilà bientôt 1 an que je travaille avec ma fille, on se partage le temps de travail, nous nous relayons, et nous travaillons en binôme. Nos deux accueillis permanent présentent des troubles du comportement, parfois c'est tranquille, parfois c'est compliqué (crises de colère, spasmes, crache à table...), nous analysons les situations et nous adaptons nos prises en charge en fonction des crises, nous prenons des décisions ensemble, nous travaillons avec les médecins, parfois la famille quand c'est possible. Je travaille moins (et gagne moins) mais je m'y retrouve, ma famille s'y retrouve, nos accueillis sont heureux de vivre chez nous (pour l'instant), et ma fille adore son travail.

Vous avez raison, il faut en parler, se rapprocher des collègues pour nous soutenir mutuellement, pour nous rappeler que c'est un beau métier et que nous apportons beaucoup à nos accueillis et pour nous soutenir dans les moments compliqués, si vous le souhaitez voici mon mail : karineduport(arobase)free.fr

Karole vous êtes dans la bonne direction, continuer à avancer ;
Bonne soirée
karine

karole